Les mesures d’investigation ordonnées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile en matière de pratiques restrictives de concurrence et d’actions anticoncurrentielles relèvent de la compétence des juridictions spécialement désignées à cet effet.
L’engagement d’une procédure, qui peut s’avérer longue et coûteuse, peut être confortée par la production de moyens de preuve obtenus par l’intermédiaire d’une requête adressée au Président du Tribunal de grande instance ou du Tribunal de commerce sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
Tel est le cas, par exemple, lorsque des indices laissent penser qu’une société commet des actes anticoncurrentiels à son encontre. Il s’agira alors de mettre en avant les éléments en sa possession pour convaincre le juge de la vraisemblance du trouble allégué et la nécessité d’ordonner une mesure d’instruction de façon non contradictoire, en vue d’éviter la déperdition de preuves notamment.
En matière de litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence ou de mesures anticoncurrentielles visées aux articles L.442-6 et L.420-1 du Code de commerce, le législateur a prévu la compétence de huit juridictions spécialement désignées pour statuer sur ces litiges (cf. articles D.442-3, D.442-4, R.420-3 et R.420-4 du Code de commerce).
L’espèce commentée portait sur la demande de rétractation d’une ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de Grenoble qui avait autorisé à pratiquer diverses mesures d’investigation alors que la requête déposée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile invoquait une violation des articles L.442-6 et L.420-1 du Code de commerce.
L’arrêt du 17 janvier 2018 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation répond à deux problématiques.
(1) Quel juge est compétent pour ordonner des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile lorsque le fond du litige relève des articles L.442-6 et/ou L.420-1 du Code de commerce ?
Le demandeur à la mesure d’instruction dispose d’une option de compétence entre le juge de la juridiction qui sera amenée à connaître du fond du litige, ou celui du lieu ou devrait être réalisée la mesure d’instruction réclamée (Civ. 2ème, 17 juin 1998).
Lorsque le fond du litige est susceptible de relever, même en partie seulement, des articles L.442-6 et/ou L.420-1 du Code de commerce, la Cour de cassation a retenu que le président de la juridiction saisi d’une demande de mesure d’instruction in futurum ne pouvait ordonner une telle mesure que dans les limites du pouvoir juridictionnel de ce tribunal.
Or, il ressort des articles D.442-3, D.442-4, R.420-3 et R.420-4 du Code de commerce que seules les juridictions spécialement désignées sont compétentes pour statuer en cas de mesures restrictives de concurrence ou actions anticoncurrentielles ; de sorte qu’en l’espèce, en ordonnant une mesure d’instruction in futurum, alors que le litige était fondé en partie sur l’article L.442-6, le président du Tribunal de commerce de Grenoble avait excédé les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de la loi.
(2) Quelle Cour d’appel est compétente pour connaître des décisions tranchées par une juridiction qui n’est pas spécialement désignée, et n’a donc pas compétence pour ordonner une mesure d’instruction relative à un tel litige ?
Dans un premier temps, au regard des articles D.442-3 alinéa 2, D.442-4 alinéa 2 et R.420-5 du Code de commerce, la jurisprudence a tiré de la règle de compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris une irrecevabilité de l’appel formé auprès d’autres Cours d’appels (Com. 24 sept. 2013, n°12-21.089).
Or, la Cour de cassation a estimé que cette solution jurisprudentielle était source d’insécurité juridique pour le justiciable, notamment au regard de l’articulation entre les dispositions générales du Code de l’organisation judiciaire et les dispositions spéciales du Code de commerce susmentionnées.
Elle est donc intervenue pour amender expressément cette juridiction par deux arrêts du 29 mars 2017 (n°15-17.659 et n°15-24.241). Il ressort de ces deux revirements de jurisprudence – et l’arrêt commenté en est une illustration – que seuls les recours formés contre les décisions rendues par une juridiction de premier degré spécialement désignée sont portés devant la Cour d’appel de Paris.
Désormais, les autres Cours d’appel connaissent, elles, de tous les recours formés contre les décisions des juges non spécialisés dans leur ressort, y compris quand elles auront statué à tort sur des litiges relevant des articles L.442-6 et L.420-1 du Code de commerce.
Dans cette hypothèse, et c’était le cas en l’espèce, la Cour d’appel saisie devra relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction de première instance qui a statué sur des demandes qui étaient irrecevables faute de relever de son pouvoir juridictionnel.