29 juillet 2022

Loyers commerciaux et covid : Clap de fin pour les locataires 

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Par trois arrêts en date du 30 juin 2022, la Cour de cassation s’est positionnée en faveur des bailleurs sur l’exigibilité des loyaux commerciaux lors des fermetures administratives ayant affectées les commerces dits « non essentiels » : l’obligation de paiement des loyers commerciaux n’est pas neutralisée durant la période de confinement, de sorte que les preneurs à bail commercial devront régler les loyers commerciaux dus.

Loyers commerciaux et covid

Ce contentieux des « loyers Covid » était source de controverse depuis le début de la crise sanitaire. Ainsi, la prise de position s’est révélée délicate : d’une part, dans un contexte épidémique inédit et d’autre part en présence de deux intérêts tout autant légitimes.

La Haute juridiction avait annoncé, 15 jours auparavant, qu’elle procéderait à la sélection de trois pourvois « pilote » (n°21-19.889, n°21-20.127 et n°21-20.190) parmi la trentaine qui étaient pendants devant elle, afin d’édicter des arrêts de principe et clore cet aspect du contentieux.

Dans son communiqué de presse rendu suite aux arrêts du 30 juin 2022, la Cour de cassation indique que « la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d’une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance. Un locataire n’est pas fondé à s’en prévaloir au titre de la force majeure pour échapper au paiement de ses loyers ».

C’est ainsi que la Cour de cassation a tranché et statué sur les moyens de défenses invoqués par les locataires aux fins d’échapper au paiement des loyers commerciaux durant la fermeture administrative des commerces non essentiels.

À titre liminaire, elle rappelle dans les trois espèces que l’interdiction faite aux établissements « non essentiels » de recevoir du public sur la période du 17 mars 2020 au 10 mai 2020 a été déclarée aux fins de limiter la propagation du virus. Elle précise également que cette interdiction a été décidée selon les catégories d’établissements recevant du public aux seuls fins de garantir la santé publique.

Elle répond ensuite aux quatre moyens principaux soulevés par les preneurs.

L’interdiction de recevoir du public constituait-elle une perte de la chose louée ?

Les locataires se prévalaient de la perte de la chose louée prévue à l’article 1722 du Code civil, estimant qu’ils n’avaient pas à s’acquitter des loyers afférents à la période au cours de laquelle ils n’avaient pu jouir du local commercial afin d’exercer leur activité.

Certaines juridictions du fond avaient pu, en effet, souscrire à cette analyse et notamment le juge de l’exécution près le tribunal judiciaire de Paris (ex JEX Paris, 20 janvier 2021, n° 20/80923), considérant que le temps limité de la perte ne fait pas obstacle à l’application de l’article 1722 du Code civil (Civ. 1ère, 29 novembre 1965).

La Cour de cassation rejette ce moyen en énonçant, sans approfondir, que « l’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué ne peut être, d’une part, imputable aux bailleurs, d’autre part assimilé à la perte de la chose au sens de l’article 1722 du Code civil ».

L’interdiction de recevoir du public constituait-elle un manquement du bailleur à son obligation de délivrance ?

Selon les preneurs, si l’obligation de l’une des parties n’est plus remplie, l’obligation de l’autre devient alors sans cause et ne peut avoir aucun effet. En l’espèce, en raison de l’interdiction administrative de recevoir du public, imposée aux locataires, l’obligation de délivrance du bailleur ainsi que la jouissance paisible du bien pris à bail n’était plus remplie selon les locataires, justifiant dès lors l’exception d’inexécution de leur propre obligation.

Sur ce point, la Cour de cassation retient que « l’impossibilité d’exploiter les locaux était du seul fait du législateur et que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’était pas constitutive d’une inexécution de l’obligation de délivrance », de sorte que les locataires ne peuvent désormais plus se prévaloir de l’exception d’inexécution pour faire obstacle à leur propre obligation de payer.

L’interdiction de recevoir du public constituait-elle un cas de force majeure ?

Les locataires estimaient qu’ils pouvaient obtenir la suspension de leur obligation de paiement des loyers en invoquant la force majeure dès lors qu’ils n’avaient pu exploiter le local conformément à la destination contractuellement prévue.

Sur ce point, les juges des référés avaient pu considérer cet argumentaire comme sérieux compte tenu de la crise sanitaire (ex ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer du 4 novembre 2020 ; Cour d’appel de Paris statuant en référé le 9 décembre 2020), tout en rappelant la jurisprudence établie rappelant que « Le débiteur d’une obligation de paiement d’une somme d’argent ne peut pas s’exonérer de cette obligation en invoquant la force majeure » (Com. 16 septembre 2014, n°13-20.306).

Selon la Haute juridiction, « il résulte de l’article 1218 du Code civil que le créancier qui n’a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure ».

Par conséquent, les locataires ne peuvent pas se fonder sur la force majeure aux fins d’échapper à leur obligation de paiement.

Les bailleurs n’ayant pas accepté de suspendre le paiement des loyers avaient-ils manqué à leur obligation de bonne foi ?

Les locataires considéraient que les bailleurs avaient manqué à leur obligation de bonne foi en n’ayant pas tenté la renégociation des contrats afin de s’adapter aux circonstances sanitaires.

La Cour de cassation rejette à nouveau cette prétention et énonce que les bailleurs n’ont pas manqué à leur obligation de bonne foi.

Les locataires sont donc bien redevables des loyers commerciaux qui n’ont pas été payés durant les périodes d’interdiction de recevoir du public.

En se prononçant en des termes très généraux, la Cour de cassation manifeste sa volonté de mettre fin au contentieux des « loyers Covid » :

  • Elle réitère dans les trois espèces le caractère temporaire et général de la mesure.
  • Elle développe peu son argumentaire, affirme fermement que cette mesure est sans lien direct avec la destination du bien loué et qu’elle ne peut être imputable au bailleur puisqu’elle émane des pouvoirs publics.
  • Enfin, la Cour de cassation a sélectionné stratégiquement trois pourvois mettant en cause des preneurs ayant des activités professionnelles distinctes : une chaine d’un magasin discount, une agence immobilière et une société de tourisme. Ceci démontre la volonté de généraliser la solution et de ne laisser place à aucun doute quant à l’exigibilité des loyers commerciaux.
  • Une solution retenue pour des considérations économiques notamment

L’avocat général de la Cour de cassation avait sollicité auprès du ministère de l’Économie un avis circonstancié sur les effets de la fermeture des commerces sur les entreprises.

Cette note sur l’impact de la crise sanitaire sur les loyers des commerces versée aux débats précisait que 45 % des établissements de détail avaient été fermés, qu’ils avaient pu bénéficier de plusieurs dispositifs d’aides successifs et mesures de soutien et que le montant des loyers et charges est estimé à plus de 3 milliards.

La Cour soulignait également dans son communiqué du 16 juin 2022 que nombreux locataires avaient suspendu de fait leurs paiements et qu’il s’agissait de régler la question du bien-fondé du cas de force majeure, de l’exception d’inexécution et de la perte de la chose louée ressortant de l’article 1722 du Code civil.

Après avoir largement soutenu les preneurs, et le monde économique plus largement, la Cour de cassation marque un coût d’arrêt et rappelle l’exigibilité des loyers commerciaux durant la période de confinement.

 

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