4 janvier 2023

Garantie d’éviction et cession de parts

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#Garantie d’éviction et cession de parts

La Cour de cassation, par un arrêt en date du 16 novembre 2022, a censuré la Cour d’appel de Paris en rappelant que la garantie légale d’éviction entraîne, pour le cédant des parts d’une société, l’interdiction de se rétablir si ce rétablissement est de nature à empêcher l’acquéreur de ces parts de poursuivre l’activité économique de la société cédée et de réaliser l’objet social.

Quelle est l’intérêt de la garantie légale d’éviction ?

Le régime de la garantie légale d’éviction est prévu aux articles 1626 à 1640 du Code civil.

La garantie d’éviction permet d’assurer à l’acquéreur la possession paisible de la chose vendue après la délivrance de celle-ci par le vendeur.

Le vendeur doit alors s’abstenir de porter lui-même atteinte à la possession paisible de l’acquéreur mais également garantir l’acheteur contre les troubles provenant des tiers.

La garantie légale d’éviction implique donc de rechercher l’empêchement pour l’acquéreur de poursuivre l’activité économique de la société cédée et non l’activité du cessionnaire.

Quel est le régime applicable en matière de cession de parts ou d’actions ?

Comme l’a rappelé la Première Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt de principe en date du 7 avril 1998 :

La garantie d’éviction est due par tout cédant d’un droit de propriété, corporel ou incorporel.

Ainsi, appliqué aux cessions de droits sociaux (parts sociales ou d’actions), cela signifie que le cédant ne pourra pas accomplir des actes de nature à constituer des reprises, des tentatives de reprise du bien vendu ou des atteintes aux activités exercées par la société dont les titres ont été cédés.

Cette interdiction vient donc se heurter à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre du cédant, c’est pourquoi la Cour de cassation est venue encadrer le régime applicable en matière de cession de parts ou d’actions.

La garantie d'éviction appliquée aux cessions de droits sociaux encadrée par la jurisprudence

L’analyse de la jurisprudence en la matière démontre que la garantie d’éviction n’est pas absolue et n’interdit pas au cédant tout rétablissement ou tout intéressement dans une activité similaire postérieurement à la cession de droits sociaux.

La jurisprudence soumet toutefois l’application de la garantie d’éviction à des conditions strictes de sorte que sa mise en œuvre est exceptionnelle et circonscrite.

Ainsi, dans un arrêt en date du 21 janvier 1997, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a expressément rappelé que : « la garantie légale d’éviction du fait personnel du vendeur n’entraîne pour celui-ci, s’agissant de la cession des actions d’une société, l’interdiction de se rétablir, que si ce rétablissement est de nature à empêcher les acquéreurs de ces actions de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social »

Aux termes de cette décision, la Cour de cassation autorisait le rétablissement du cédant dès lors que son installation n’empêchait pas les acquéreurs des titres de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social.

La notion de proportionnalité des intérêts à protéger : Une position réaffirmée par la Cour de cassation

Plus récemment encore, la chambre commerciale de la Cour de cassation a posé une nouvelle exigence quant à la mise en œuvre de la garantie d’éviction dans le cadre d’une cession de droits sociaux.

En effet, dans un arrêt du 10 novembre 2021, la Cour de cassation a estimé qu’il se déduit de l’application combinée des principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre et l’article 1626 du code civil « que si la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l’acquéreur, c’est à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger »

Par cette décision, la Cour de cassation fait application d’un critère supplémentaire pour apprécier la licéité du rétablissement du cédant et rappelle dès lors que l’interdiction du cédant de concurrencer la société en se rétablissant doit être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

Dans un souci d’apporter une nouvelle précision, la Cour de cassation a rappelé, dans son arrêt du 16 décembre 2022, l’une des conditions essentielles de la mise en jeu de la garantie d’éviction.

La portée de l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 16 novembre 2022

Dans la présente espèce, selon un protocole conclu le 24 juin 2011, une SAS avait acquis les titres de deux sociétés spécialisées dans l’outillage pneumatique pour la maintenance automobile.

Les créateurs des deux sociétés sont devenus cadres salariés d’une des deux sociétés cédées, devenue filiale de la SAS et un engagement de non-concurrence et de non-rétablissement a été pris par ces derniers au sein de l’acte de cession.

Un litige est survenu entre les parties sur le paiement du prix de cession et la SAS a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts en invoquant notamment la violation par les cédants de leur obligation de garantie contre l’éviction.

L’affaire a été portée en justice et la Cour d’appel a rejeté la demande reconventionnelle au motif que la SAS n’apportait pas la preuve d’une quelconque restriction de son activité économique par le fait des activités des deux créateurs.

La Cour de cassation censure l’arrêt en rappelant qu’il appartient aux juges du fond de rechercher si les agissements des cédants sont susceptibles de faire obstacle à la poursuite de l’activité économique de la société cédée et non au cessionnaire de prouver une restriction de son activité économique par le fait des activités des cédants (Cass. Com., 16 novembre 2022, n° 21-13.561).

Cette décision est donc l’occasion pour la Cour de cassation de réaffirmer les conditions de mise en œuvre de la garantie d’éviction à la suite d’une cession de droits sociaux.

Grégory Lefebvre Cabinet Avocat compiegne

Maître Grégory Lefebvre, avocat spécialisé en droit des sociétés, et son équipe restent à votre disposition pour toute information complémentaire.

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