Lorsque le temps devient une ressource inestimable, le forfait jours se révèle comme l’outil ultime pour libérer la productivité, stimuler l’innovation et réinventer la gestion du travail.
Placé sous haute surveillance de la jurisprudence, le forfait jours fait régulièrement l’objet de contestation de la part des salariés.
En leurs permettant de se détacher des contraintes horaires traditionnelles, vous ouvrez la porte vers une ère de flexibilité, d’autonomie et d’efficacité.
Mais prenez garde ! Il est assez courant que les salariés agissent en justice afin d’obtenir la nullité ou l’inopposabilité de leur convention individuelle, et sollicitent le règlement d’heures supplémentaires, avec également un risque de condamnation pour travail dissimulé.
Comment fonctionne le forfait jours ? Quelles sont les règles à respecter pour la mise en place et son fonctionnement ? Comment prévenir les risques de nullité et de condamnation ?
Autant de questions que vous, employeurs, devez-vous poser afin d’appréhender les risques et prendre les mesures qui s’imposent pour sécuriser ce dispositif d’aménagement du temps de travail.
Table des matières
ToggleLe forfait jours, qu’est-ce que c’est ?
Le forfait annuel en jours est un dispositif consistant à décompter le temps de travail non pas selon un nombre d’heures, mais selon un nombre de jours (ou demi-journées) travaillés sur l’année.
Les salariés en bénéficiant sont ainsi en mesure d’organiser leur temps de travail et sont rémunérés en fonction du nombre de jours travaillés (et non du nombre d’heures travaillés).
Qui est concerné par le forfait jours ?
Ce dispositif est réservé :
- aux cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
- aux employés, cadres ou non, dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées. (Article L 3121-58 du Code du Travail)
Le saviez-vous ? La convention collective peut ajouter d’autres conditions pour qu’un salarié puisse être soumis à une convention de forfait en jours (condition d’ancienneté, d’appartenance à une catégorie professionnelle, coefficient, niveau de rémunération…).
Il convient également de garder à l’esprit que le choix d’une convention de forfait jours exclut la qualification de cadre dirigeant.
Comment mettre en place le forfait jours dans mon entreprise?
La mise en place de conventions individuelles de forfait en jours est subordonnée à :
- la conclusion d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement
- A défaut, d’une convention ou un accord de branche.
Il est néanmoins important de préciser que l’accord collectif doit comporter un certain nombre de clauses (catégorie de salariés concerné, nombre de jours compris dans le forfait, modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié…).
Le saviez-vous ? De nombreuses conventions collectives sont invalidées par la jurisprudence de la Cour de cassation, faute de garanties suffisantes. Tel a notamment été le cas de la convention collective des Industries Chimiques, ou plus récemment, celle du Commerce de détail non alimentaire.
Notre conseil ? pour avoir recours en toute sécurité au forfait-jours, nous vous conseillons de conclure un accord d’entreprise conforme aux exigences légales et jurisprudentielles.
Est-il obligatoire de recueillir l’accord de mon salarié pour le passer en forfait jours ?
Pour appliquer un forfait jours, il est nécessaire de recueillir l’accord exprès de votre employé
et de formaliser l’accord aux termes d’une convention individuelle de forfait.
En pratique, cette convention est insérée directement dans le contrat de travail ou dans un avenant au contrat de travail.
Dois-je contrôler le temps de travail de mon salarié ?
Oui ! Il est d’ailleurs obligatoire pour les employeurs de contrôler le nombre de jours travaillés ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises.
Vous devez également vous assurer, le plus régulièrement possible, que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail. (C. trav., art. L. 3121-60).
Cette charge de travail ne doit pas impacter l’état de santé ou la sécurité de votre salarié.
Concernant le contrôle de mon salarié, que dois-je prévoir dans mon accord collectif ?
Votre accord collectif, autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours, doit fixer les modalités suivantes :
- Une évaluation et un suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
- Une communication périodique sur la charge de travail de votre employé, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ( trav., art. L. 3121-64).
En cas d’accord collectif incomplet, vous devrez, par le biais de la convention individuelle de forfait en jours :
- établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous votre responsabilité, ce document peut être renseigné par le salarié ;
- s’assurer que la charge de travail de votre salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens ou hebdomadaires ;
- organiser une fois par an un entretien avec votre salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération.
Il est indispensable d’effectuer un suivi réel et effectif de la charge de travail de votre salarié sous forfait jours sous peine de remise en cause du dispositif.
Est-il obligatoire de faire le point avec mon salarié tous les ans?
Oui ! Vous êtes tenu d’organiser un entretien annuel individuel avec chaque salarié soumis au forfait jours afin de vérifier sa charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise et l’articulation entre sa vie professionnelle et personnelle. (Article L3121-65 du Code du travail).
Point de vigilance : certaines conventions collectives vont au-delà des prescriptions légales.
Tel est le cas de la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils, sociétés de conseils dite SYNTEC qui imposent la tenue de deux entretiens annuels ainsi qu’un entretien individuel spécifique cas de difficulté inhabituelle.
Pensez à relire vos conventions collectives avant de conclure une convention de forfait.
Est-ce que je peux imposer des horaires ou des jours de travail à mon salarié en forfait jour ?
Que le salarié soit cadre ou non-cadre, un critère doit impérativement être respecté : l’autonomie.
Dès lors, il a le droit d’organiser son emploi du temps comme il l’entend.
La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt de 2022, que le forfait jours ne donne pas le droit au salarié de fixer librement ses horaires indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction. (Cass.Soc. 2 février 2022 – n°20-15744)
En réalité, bien qu’autonome, le salarié en forfait jours demeure sous l’autorité de son employeur. Mais avant de lui imposer un planning, il convient de s’assurer que la spécificité de votre activité le justifie.
A l’inverse, l’employeur ne peut, sans porter atteinte au principe d’autonomie, soumettre à son salarié une obligation de pointage et de présence minimum par jour dans l’entreprise. (Cass. Soc. 7 juin 2023, n°22-10196).
En cas de non-respect de ce critère significatif d’autonomie, vous vous exposez à une lourde sanction : l’annulation de la convention de forfait jours outre des sanctions pécuniaires.
La frontière dans l’appréciation de l’autonomie est mince. Le conseil d’un avocat spécialisé en droit du travail peut s’avérer judicieux afin d’éviter toute condamnation future.
Mon salarié en forfait jour est-il soumis à la durée légale du travail ?
La convention du forfait jours ne fixe pas l’horaire de travail quotidien et hebdomadaire.
Votre salarié peut travailler plus ou moins de 35 heures par semaine.
Ils ne sont pas soumis aux dispositions suivantes du code du travail :
- la durée légale hebdomadaire du travail (35 heures ; article L. 3121-27) ;
- la durée quotidienne maximale de travail effectif (10 heures sauf dérogations ou situation d’urgence ; article L. 3121-18) ;
- la durée hebdomadaire maximale de travail (48 heures au cours d’une même semaine, et 44 heures en moyenne sur une période quelconque de 12 semaines ; articles L. 3121-20 et L. 3121-22).
Ces règles ne s’appliquent pas aux salariés en forfait en jours.
Concernant les heures supplémentaires, (contingent d’heures supplémentaires, contrepartie obligatoire en repos, majorations) elles ne s’appliquent pas non plus dans la mesure où elles supposent l’application de la durée légale.
Mon salarié peut-il travailler le dimanche ?
Le salarié est soumis au repos dominical et doit respecter un temps de repos minimal :
- quotidien : 11 heures consécutives de repos entre deux journées de travail
- hebdomadaire : 35 heures consécutives de repos une fois par semaine
De la même manière, votre salarié n’est pas tenu de travailler les jours fériés chômés et durant ses congés payés.
Mon salarié en forfait jours peut-il travailler plus de 35 heures par semaine ?
N’entrant pas dans le cadre de la durée légale de travail, votre salarié peut travailler beaucoup plus de 35 heures par semaine.
Soyez cependant vigilant à ce que la charge de travail qui lui sera attribuée demeure dans la limite du raisonnable et que les repos soient respectés.
Cette charge de travail ne doit pas impacter sa santé ou sa sécurité.
A défaut, vous vous exposez à des contestations voire un contentieux.
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Comment calculer un forfait jour à temps partiel ?
La notion de temps partiel, qui suppose un travail en deçà de 35 heures par semaine, est incompatible avec la notion de forfait jours.
Le salarié soumis à une convention de forfait en jours sur l’année dont le nombre est inférieur à 218 jours n’est pas considéré à temps partiel.
Dès lors, même si la convention de forfait jours comprend un volume de 100 jours de travail, votre salarié ne sera pas pour autant considéré comme travaillant à temps partiel.
Comment est calculé le salaire d’un cadre en forfait jours ?
La loi ne fixe pas de salaire minimum pour les salariés en forfait en jours.
La rémunération prévue est ainsi fixée librement par les parties, sous réserve des dispositions conventionnelles de branche ou d’entreprise pouvant prévoir des niveaux minima de salaire pour être éligible au forfait annuel en jours.
Le saviez-vous ? Le bulletin de paie du salarié signataire d’une convention de forfait doit mentionner la nature et le volume du forfait (article R3243-1 du Code du travail).
Ainsi dans le cas d’un salarié en forfait 218 jours, cette mention doit impérativement apparaître sur la fiche de paie.
Mon salarié en forfait jours a-t-il le droit à des RTT ?
Certaines entreprises emploient le terme « RTT » pour désigner les jours de repos liés au forfait jours.
Or, ce terme est inapproprié.
En effet, les Journées de Réduction du Temps de travail (JRTT ou RTT), octroyés en cas de dépassement de la durée légale de 35 heures, est antinomique avec la notion de forfait jours puisque le salarié n’est, dans ce cas, pas soumis à la durée légale du travail.
Votre salarié n’étant pas soumis à la durée légale du temps de travail (35 heures par semaine), il est amené à effectuer des heures de travail ne pouvant être comptabilisés comme des heures supplémentaires.
Dès lors, en contrepartie de ces heures de travail effectuées en sus de ceux prévues conventionnellement (ou au-delà de 218 jours), votre salarié bénéficie de jour de repos.
Notez que chaque année, vous avez l’obligation de déterminer le nombre de jours de repos de votre salarié en forfait jours annuel.
Comment calculer les repos en contrepartie du forfait 218 jours ?
Le calcul du nombre de jours de repos dans cadre du forfait jours est réalisé dans les conditions suivantes :
Exemple pour l’année 2023
Détermination du nombre de jours dans l’année = 365
Déduction du nombre de jours de travail dans l’année = 218
Déduction des jours de repos hebdomadaires (nombre de samedi et dimanche) = 105
Déduction des jours ouvrés de congés payés = 25
Déduction des jours fériés tombant entre le lundi et le vendredi = 9
Soit pour l’année 2023 : 365 – (218 + 105 + 25 + 9) = 8.
Ainsi, pour 2023, le nombre de jours de repos en contrepartie du forfait pour un salarié au forfait jour est de 8.
Ces 8 jours de repos complémentaires s’ajoutent aux congés payés annuels.
Puis-je faire travailler mon salarié au-delà de 218 jours par an?
Le nombre de jours travaillé dans l’année ne peut pas dépasser le nombre annuel maximal de jours travaillés fixés par l’accord collectif.
En principe, le forfait jours est établi à 218 jours maximum par an avec la possibilité pour l’employeur de racheter des jours de repos au salarié avec son accord exprès. Le forfait peut ainsi atteindre dans certains cas 235 jours maximum.
Quelles sont les conditions et les contreparties à la renonciation du salarié à ses jours de repos ?
Votre salarié peut, s’il le souhaite, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de son salaire. (C. trav., art. L. 3121-59).
Cette faculté offerte par la loi lui permet de pallier l’impossibilité, souvent constatée, de prendre l’ensemble de leurs jours de repos compte tenu de leur charge de travail importante.
Le dispositif de rachat de jours de repos est entièrement fondé sur le volontariat du salarié.
À noter que le nombre de jours, alors travaillé dans l’année, ne peut pas dépasser le nombre annuel maximal de jours travaillés fixés par l’accord collectif.
À défaut de précision dans l’accord collectif, le maximum est de 235 jours par an.
Comment calculer le nombre de jours lorsque mon salarié arrive ou part en cours d’année de référence ?
Il convient en premier lieu de se référer à l’accord collectif instituant le forfait jours, lequel doit, en principe prévoir les règles relatives aux arrivées et départs en cours de période. (C. trav., art. L. 3121-64)
A défaut de stipulations dans l’accord collectif, une règle de proratisation concernant le plafond annuel de jours travaillés peut-être appliquée.
Par exemple, le salarié qui a travaillé la moitié de l’année sera soumis à un forfait de 109 jours travaillés (218/2).
Cette règle qui a le mérite d’être simple à appliquer n’est cependant pas toujours celle retenues par les accords collectifs.
Quelles sont les conséquences d'une nullité ou privation d’effet de la convention individuelle de forfaits jours ?
Il apparaît important de distinguer la nullité de la privation d’effet d’une convention de forfait jours.
- Si une convention individuelle de forfait jours est conclue en application d’une convention collective invalide, celle-ci est nulle.
- Si la convention de forfait jours est d’exécutée de façon défectueuse par l’employeur, elle est privée d’effet à compter de la défaillance de l’employeur.
Dans les deux cas, le salarié est recevable à contester la validité de la convention de forfait et ainsi se prévaloir du régime des heures supplémentaires.
En outre, l’employeur s’expose un risque de condamnation pour travail dissimulé.
Il convient également de souligner le fait qu’en cas de nullité ou privation d’effet de la convention de forfait jours, l’employeur est bien fondé à solliciter le remboursement des jours de repos dont le salarié a pu bénéficier sur le fondement de la répétition de l’indu.
Quels sont les avantages à mettre en place un forfait jours dans son entreprise ?
Pour les employés concernés : Une plus grande flexibilité dans la gestion de leur temps de travail. Ils ont la possibilité d’organiser leurs journées de travail en toute indépendance.
Pour les employeurs : cela peut offrir une plus grande souplesse dans la gestion de la main-d’œuvre et la capacité de s’adapter aux variations saisonnières de l’activité.
Pour l’entreprise : ce procédé participe au développement d’une nouvelle culture du résultat. Le salarié est ainsi rémunéré pour le travail accompli et non pour sa présence physique au sein de la société.
Cependant, ce régime peut également cacher quelques pièges puisqu’il exige un contrôle réel et effectif de la charge de travail du salarié par l’employeur.
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En conclusion, il peut être délicat de trouver un équilibre entre autonomie du salarié et contrôle de l’employeur.
L’employeur doit encadrer cette autonomie en disposant d’un décompte fiable des jours travaillés afin d’être en mesure de remédier rapidement à des situations à risques en termes de charge de travail.
Dans un contexte où le nombre des contentieux relatifs à la validité des conventions de forfait irrégulières ne cesse de se développer, il apparaît indispensable pour l’employeur de disposer d’outils solides pour mettre en place le forfait jours en toute sécurité.
Maître Geneviève PIAT, avocate spécialisé en droit du travail, vous accompagne dans la relecture et la rédaction de vos accords d’entreprise, conventions individuelles et documents de suivi.
Vous serez ainsi en mesure de réduire considérablement les contentieux les risques de condamnations.
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