19 septembre 2025

Directive mère-fille : la CJUE affine l’analyse de l’abus de droit

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Dans une décision du 3 avril 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la clause anti-abus (abus de droit) contenue à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la directive 2011/96/UE (directive mère-fille).

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Abus de droit : une interprétation élargie de la clause anti-abus

Saisie dans le cadre d’un litige opposant l’administration fiscale lituanienne à une société mère locale, la Cour consacre une approche globale de l’abus de droit, intégrant les circonstances antérieures et postérieures à l’opération contestée.

Le contentieux portait sur des dividendes versés en 2018 et 2019 par une filiale britannique à sa société mère lituanienne. L’administration fiscale lituanienne reprochait à la société d’avoir éludé l’impôt sur les sociétés sur ces dividendes, considérant que la filiale n’était qu’un montage non authentique dépourvu de substance économique. Elle soulignait l’absence de locaux propres, de moyens matériels, la présence d’un seul salarié dirigeant plusieurs entités simultanément, et l’usage d’une adresse partagée par des milliers de sociétés. Selon elle, l’activité de création et de distribution de jeux avait en réalité été exercée par la société mère elle-même.

Dans sa réponse, la Cour valide la possibilité, pour un État membre, de refuser l’exonération des dividendes au titre de la directive mère-fille lorsque la filiale distributrice constitue un montage artificiel, même si cette dernière n’est pas une société relais et que les bénéfices distribués résultent formellement d’une activité économique. Elle rappelle que la clause anti-abus (abus de droit) s’applique largement à toute situation visant à tirer indûment parti des exonérations prévues par la directive.

Elle rejette en revanche l’idée que seules les circonstances existant à la date du versement des dividendes devraient être prises en compte. Le juge national doit, au contraire, opérer une appréciation d’ensemble de la situation, incluant les circonstances ayant précédé ou suivi l’opération litigieuse. Un montage initialement fondé sur des considérations économiques réelles peut devenir non authentique s’il est maintenu alors que les conditions ayant justifié sa création ont disparu. La CJUE insiste sur le fait qu’aucune disposition de la directive n’exclut la prise en compte d’éléments postérieurs dans l’analyse de l’abus de droit.

Une définition souple mais exigeante de l'avantage fiscal

Enfin, la Cour rappelle que le refus d’un avantage fiscal sur le fondement de la directive suppose la réunion de deux critères cumulatifs. Le montage doit d’abord être qualifié de non authentique, ce qui constitue la condition objective. Il faut ensuite démontrer que ce montage a été mis en place dans le but principal, ou l’un des buts principaux, d’obtenir un avantage fiscal contraire à l’objet ou à la finalité de la directive, ce qui constitue la condition subjective. Le seul constat d’un montage non authentique ne suffit donc pas. Il faut évaluer l’avantage fiscal en cause au regard de l’effet global du montage.

Dans l’affaire en question, la société mère soutenait que les bénéfices de sa filiale avaient été taxés au Royaume-Uni à un taux supérieur à celui de l’impôt lituanien, ce qui contredirait l’intention d’évasion fiscale. La Cour reconnaît que ce critère, bien que non décisif à lui seul, constitue un élément pertinent pour apprécier l’existence d’un objectif fiscal.

À noter : cet arrêt illustre également la volonté de la Cour de donner une définition souple mais exigeante de la notion d’« avantage fiscal ». En tenant compte de l’effet fiscal global du montage, les juridictions nationales disposent d’une grille d’analyse plus réaliste, qui ne s’arrête pas aux apparences juridiques mais cherche à apprécier la finalité économique et fiscale de l’ensemble de la structure.

Cette décision vient confirmer la nécessité, pour les juridictions nationales, d’apprécier avec nuance les situations transfrontalières impliquant des distributions de dividendes intra-groupe. L’abus ne se présume pas. Il se démontre à partir d’une lecture globale des faits, dans un équilibre subtil entre substance économique et intention fiscale.

Notre conseil

Les groupes structurés avec des filiales dans l’UE doivent réévaluer la substance économique et la justification commerciale de ces structures. Une filiale créée pour des motifs légitimes peut perdre sa légitimité si elle est maintenue artificiellement dans le temps.
Il est désormais risqué de s’appuyer uniquement sur la documentation en vigueur au jour du dividende : l’administration, comme le juge, peut s’appuyer sur l’évolution de l’activité et des flux.

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