15 décembre 2022

Les actes extrastatutaires peuvent-ils entrer en contradiction avec les statuts de la société ?

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Telle est la question à laquelle la Cour de cassation a dû répondre dans une décision en date du 12 octobre 2022 (Cass. Com, 12 octobre 2022 n° 21-15.382).

En l’espèce, les statuts d’une société par actions simplifiée unipersonnelle mentionnaient explicitement que la révocation du Directeur Général pourrait intervenir à tout moment, sans qu’aucun motif ne soit nécessaire, par décision collective des associés et que la cessation des fonctions ne donnerait droit à aucune indemnité de quelque nature que ce soit.

Pour autant, lors de la nomination de son Directeur Général, l’associé unique avait fait référence à un courrier précisant que la révocation des fonctions de Directeur Général sans juste motif donnerait lieu à une indemnité forfaitaire.

S’appuyant sur cet acte extrastatutaire, le Directeur Général a demandé le paiement de cette indemnité.

Néanmoins, la Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation et opère un véritable revirement de jurisprudence en affirmant :

« Il résulte de la combinaison des articles L. 227-1et L. 227-5 du Code de commerce que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Si les actes extrastatutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger».

Autrement dit, les statuts sociaux redeviennent la seule loi des associés et ces derniers ne peuvent y déroger par des aménagements contractuels, qu’il s’agisse de protocole d’accord, de préambule aux statuts, de pacte d’associés et/ou de règlement intérieur de la société.

En l’espèce, dans l’arrêt en date du 12 octobre 2022, il était question de la contradiction existante entre les statuts sociaux de la société et la lettre de l’actionnaire unique qui désignait le Directeur Général et qui faisait référence à un courrier émis par une société du même groupe précisant justement l’indemnité due en cas de révocation.

Selon la Cour de cassation :

« La Cour d’appel en a exactement déduit que le procès-verbal de l’associé unique du même jour, procédant à la nomination de M. [V], qui se référait à la lettre du 13 mai 2011 pour « les modalités de sa rémunération et de sa collaboration de manière générale avec la société », n’avait pu valablement déroger à cette disposition statutaire ».

Partant, la Haute juridiction abandonne sa jurisprudence sur les actes unanimes dérogeant aux statuts, laquelle avait notamment donné lieu à deux décisions remarquées en date du 12 mai 2015 et du 29 janvier 2020 (Cass. Com, 12 mai 2015 n° 14-13.744 ; Cass. Com, 29 janvier 2020 n° 18-15.179).

Dans ces deux décisions, la Cour de cassation avait clairement admis que les associés d’une société à responsabilité limitée pouvaient déroger à une clause des statuts et s’en affranchir par l’établissement d’actes postérieurs, valables, dès lors que ces actes étaient consentis par tous les associés.

Plus précisément, il était question d’un associé gérant démissionnaire qui avait été autorisé par les autres associés à créer une activité concurrente à la suite de la conclusion d’un protocole d’accord extrastatutaire alors même que les statuts prévoyaient une clause de non-concurrence.

Or, peu de temps après le lancement de son activité, la société à responsabilité limitée avait assigné l’ancien associé gérant en invoquant la nullité du protocole pour violation de ses statuts.

La Cour de cassation a toutefois rejeté le pourvoi en cassation de la société en précisant que :

« Les associés d’une société à responsabilité limitée peuvent déroger à une ou plusieurs clauses des statuts et s’en affranchir par l’établissement d’actes postérieurs, valables dès lors que tous les associés y consentent » (Cass. Com, 12 mai 2015 n° 14-13.744 ; Cass. Com, 29 janvier 2020 n° 18-15.179).

La décision du 12 octobre 2022 amende désormais cette solution tout comme elle vient balayer le critère de la chronologie en présence d’actes contradictoires, lequel avait d’ailleurs été retenu dans une décision en date du 5 juin 2019. (Cass. Com, 5 juin 2019 n° 17-18.967).

En effet, dans cette espèce, les règles de majorité évoquées dans un pacte d’actionnaires prévoyaient une clause de majorité spécifique pour la révocation des membres du directoire.

Toutefois, cette clause n’a pas été reprise dans les dispositions statuaires mises à jour postérieurement au pacte d’actionnaires et les membres du directoire ont été révoqués selon les règles de majorité exposés dans les statuts mises à jour.

Ces derniers ont contesté la validité de cette décision mais la Cour de cassation a rejeté leur pouvoir en cassation au motif que la révocation valable était valable dès lors que les stipulations statutaires avaient été mises à jour postérieurement au pacte d’actionnaires et constituaient en conséquence un amendement aux dispositions du pacte d’actionnaires et aux statuts initiaux (Cass. Com, 5 juin 2019 n° 17-18.967).

Se détachant complètement de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation invite désormais les praticiens à opérer une véritable hiérarchie entre les statuts et les actes extrastatutaires et à faire primer en toute hypothèses les statuts.

Pour autant, même si cette décision permet d’avoir une règle claire concernant l’utilité des actes extrastatutaires, elle jette dorénavant des soupçons sur la validité du contenu des pactes d’associés et autres actes statutaires déjà établis.

Nos équipes se tiennent naturellement à votre disposition pour vous accompagner dans l’analyse et la sécurisation de vos actes extrastatutaires.

Références :

Articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce

Cour de cassation, chambre commerciale, 12 octobre 2022 n° 21-15.382

Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2020 n° 18-15.179

Cour de cassation, chambre commerciale, 5 juin 2019 n° 17-18.967

Cour de cassation, chambre commerciale, 12 mai 2015 n° 14-13.744 

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